Toutes les boîtes de rangement dans le garde-manger du foyer étaient vides, tout comme le bol chinois près de la machine à expresso dans le bureau du Père Thornby.

        Patientant dans la file du supermarché, Sœur Marguerite tournoyait un mouchoir en lambeaux dans sa poche. Son regard était fixé sur une tranche de mur visible entre des affiches pour des œufs et lapins en chocolat. Elle comptait. Une lettre par feuille. Le slogan en prenait vingt-quatre:

            E L L E  L E  Q U I T T E .  I L  L A  T U E .

Sur regard revenait aux deux pages qui portaient les points de phrases. La ponctuation n’était pas son fort, mais elle savait reconnaître quand c’était juste. Six mots en deux phrases. Ce texte collé en guise de protestation sur le mur lui semblait plus significatif que la tâche de réapprovisionnée la Sainte Martyre en café. Quand, sa vie ressemblerait à cela?

        L’homme devant elle avança. Il posa une seule cane e de bière sur le tapis roulant et aligna de la monnaie à côté. La caissière les regarda. “Allez, Joe, tu sais que ce n’est pas assez.” La file s’agita, les lumières au plafond bourdonnaient. Sœur Marguerite mis sa main au fond de son sac et ratissa avec ses doigts. Elle se plaça à côté de l’homme et glissa dans sa main les pièces qu’elle avait trouvées. Il la regarda, les yeux larges. Elle comprit son incompréhension trop tard. Les pièces tambourinèrent au sol et roulèrent pêlemêle.

        Un enfant se précipita ver le son. La femme derrière Sœur Marguerite s’est accroupie pour regarder sous présentoir à bonbons. Les yeux fière, l’enfant avança vers Joe, ses pe tes mains en formant une coupe. La femme laissa tomber ce qu’elle avait trouvé dedans. “Merci, ma puce”, dit la caissière à l’enfant, puis fit signe à Joe de prendre la bière. Elle regarda Sœur Marguerite et celle-ci reconnut l’expression de lassitude mêlée au soulagement. Ce geste comptait pour elles.

        Et pourtant, alors qu’elle déposait ses achats sur le tapis roulant, le moment d’entente s’évaporait déjà, tout comme la protesta on féminicide s’éclipsait elle aussi. Lettre après lettre, des misogynes les arracheraient dès la tombée de nuit.

        La lumière du laser du scanner donnait aux mains de la caissière une lueur rouge. Sœur Marguerite pensa à la permanence de ses propres mots, qui, si elle ne s’activait pas, resteraient sous le nom de quelqu’un d’autre. Cela ne compterait ni pour la fille à la caisse ni pour Joe. Sœur Marguerite posa la carte de crédit de l’église sur le terminal sans regarder le montant. Mais pour elle? Au bip, elle rangea la carte dans la poche de sa tunique, puis mit ses achats dans son sac.

        Dehors, elle traversa la rue, s’écarta de son chemin habituel vers la Sainte Martyre. Elle se posta devant la protestation anti-féminicide. Chacune des lettres était peinte à la main. Elle imagina le temps de séchage de la peinture épaisse; l’empilement méticuleux des feuilles, le travail d’équipe silencieux; le bruit de la colle étalée sur le mur au pinceau large. Elle se pencha pour voir de plus près. Sur une bordure ver cale se situait une minuscule signature en rouge: vagina dentata.

Extrait d’un roman qui raconte la trajectoire inattendue de Sœur Marguerite, un femme timide et sans foi, qui commence à prendre des cours d’arts martiaux en cachette. Titre provisoire, Noguru.